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Maison de la Poésie Jean Joubert

Le blog de la Maison de la Poésie Jean Joubert

Frédéric Jacques TEMPLE

Frédéric Jacques TEMPLE

Cette Page est dédiée à Frédéric Jacques TEMPLE.

(mise à jour 15 janvier 2021)

Poèmes, textes, témoignages, pour continuer à faire vivre sa parole.

Nous l'inaugurons avec un poème de Jean-Gabriel COSCULLUELA, poète, écrivain, traducteur, éditeur. Cela vient nu, poème dédié à Frédéric Jacques Temple, a été écrit le 21 juillet 2020. Il devait lui être remis pour ses 99 ans, le 18 août 2020. Frédéric Jacques Temple nous a quittés le 5 août.

Jean- Gabriel Cosculluela :

Pas d'adieu

Il n'y a pas d'adieu lorsque nous sommes en présence. Nous sommes toujours en présence de ses mots. Ici ou en voyage, Frédéric-Jacques Temple adresse toujours des mots aux amis. L'amitié est au cœur battant de ses livres. Depuis que nous nous connaissons – milieu des années 70, je le lis. Ces mots présents nous accorde l'hospitalité, ce sont des moments donnés. L'écriture, comme la vie, est un commencement, un recommencement, origine et épiphanie, dans des paysages, des lieux, des visages.

ARBRE

Je suis un arbre voyageur

mes racines sont des amarres...

Loin je suis près des origines

quand je pars je ne laisse rien

que je ne retrouve au retour (1)

 

De ce petit lieu de chênes, j'écris un nom. Je veux dire merci à Frédéric-Jacques Temple. A le lire, je ressens ce mouvement noué d'attachement et d'arrachement, de nomadisme. Je ressens ce que nomme aussi Bernard Noël : C'est peut-être cela l'écriture ; le comble de lieu et l'absence de lieu.

Dans Cela vient nu, il y a des mots en fabla, - c'est la langue du Haut-Aragon dans les Pyrénées espagnoles, dont je suis originaire. Et Coscojuela de Sobrarbe, c'est peut-être mon Fondamente. D'où je pars, où je reviens nécessairement. Il y a là une reconnaissance de paysages, de lieux, de visages dans le plus proche voyage et dans le plus lointain voyage.

Le 21 novembre 2014, La Maison de la Poésie de Montpellier, Annie Estèves, Jean Joubert et la Médiathèque de Castries, Brigitte Mora m'accueillent. Frédéric-Jacques Temple, accompagné de Brigitte Portal, vient de Sommières pour m'écouter lire et chanter textes et chansons (liés à mes origines). C'est la dernière fois que nous nous voyons. Proches. Ce n'est pas un adieu. C'est une présence.

 

JGC

 

(1) Frédéric-Jacques Temple, Paysages, in La Chasse infinie, Paris, Gallimard,  coll. Poésie n° 548, 2019, p. 100. Précédentes éditions : Paris, Granit, 1995 & Remoulins-sur-Gardon, Jacques Brémond, 2004.

 

Jean Gabriel Cosculluela

Cela vient nu

                                                       À Frédéric-Jacques Temple

Il est une première fois, cela vient nu, c'est le moment de creuser d'autres premières fois, non pas perdues, mais qui nous manquent.

Nous n'avons plus le temps ni les histoires ni les voix, juste quelques visages qui se font jour comme ils se sont faits nuit.

Un désir nous vient nu de traverser un désert de lumière.

 

No acotalamos a luz caminando.como nunca no acotalamos a escurina.

Nous n'épuisons pas la lumière en marchant, comme nous n'avons jamais épuisé l'obscurité.

Sapemos o auguamanal da luz e da escurina, mesmo imbisibles en o corazón do beyible.

Nous savons la source de la lumière et de l'obscurité, même invisibles au cœur du visible.

Caminamos en o camino do ixupliu pa vevir o ixupliu.

Nous marchons sur le chemin d'oubli pour habiter l'oubli.

 

Nous traversons un paysage – est-il au fond abandonné, déshabité ? - , une maison, une porte, une fenêtre, une table, elles  ont gardé la lumière et l'obscurité. Il n' y a pas de voix autour de la table. Juste quelques visages  qui se font jour comme ils se sont faits nuit.

 

Denzima a mesa espullada, iste maitín.

Il est une première fois, cela vient nu, c'est le moment de creuser d'autres premières fois, non pas perdues, mais qui nous manquent. Sur la table nue, ce matin (1), nous disons notre joie de retrouver ces visages, vies silencieuses.

Nous n'avons pas encore de mots pour nommer les choses, retrouver quelques noms dans la langue de l'oubli.

Il est une première fois, nos mots viennent du commencement, du recommencement de ce profond pays 2). Iste fundo país. Ista funda terreta.

Nous nommons d'abord sa langue, longtemps confondue avec l'oubli, nous nommons le désir de cette langue en habitant l'oubli.

Chacun se dit : cette langue est

ma langue première

dont je suis en exil

dans la froide lumière

des étoiles perdues (3).

 

Nous écrivons, à voix basse, que notre histoire reste toujours inachevée, pour veiller la lumière et l'obscurité, et la lumière au cœur de l'obscurité. Vive. Il est une première fois : nous écrivons comme nous écoutons la lumière des étoiles perdues.

 

O zielo da fabla ye entablau con a tierra do inizio,  do inizio nuevamén das estrelas perdias.

Le ciel de la langue  se donne à la terre du commencement, du recommencement des étoiles perdues.

 

Isto viene espullado e isto no tien fin.

Cela vient nu et cela n'a pas de fin.

 

O alfabeto ye astí, astí, allí pa aturar a luz. Allá luen, deseyanos ir allá luen dica tornar, aturar a luz, o silenzio tramalla pa alcontrar belunas parabras en a fabla do ixupliu.

L'alphabet est ici, là, là-bas pour retenir la lumière. Plus loin, nous avons le désir d'aller plus loin jusqu'à revenir,  retenir la lumière, le silence fait chemin pour trouver quelques mots dans la langue d'oubli.

Nous écrivons. Ecrire sans casser le silence (4). La nuit et le jour ne restent pas désoeuvrés sur le temps.

 

21 juillet 2020

 

  1. Jacques Dupin, Une Apparence de soupirail, Paris, Gallimard, 1982,  coll. Blanche, p. 80
  2. Frédéric-Jacques Temple, Profonds pays, in La Chasse infinie, Paris, Gallimard, 2019, coll. Poésie n°548, p. 131
  3. Frédéric-Jacques Temple, Profonds pays, in La Chasse infinie, Paris, Gallimard, 2019, coll. Poésie n°548, p. 133
  4. Jacques Dupin, Une Apparence de soupirail, Paris, Gallimard, 1982, coll. Blanche, p. 94
Frédéric Jacques TEMPLE
Frédéric Jacques TEMPLE

le 26 septembre 2020, lors de la Rentrée littéraire en poésie, la Maison de la Poésie Jean Joubert, en partenariat avec Occitanie Livre et Lecture, rend un premier hommage à Frédéric Jacques TEMPLE. Belle Lecture d'extraits du recueil Par le sextant du soleil, éditions Bruno Doucey, par Benjamin GUERIN.

Annie Estèves lit la lettre-hommage de l'éditeur BRUNO DOUCEY, dont voici ci-dessous le texte.

Frédéric Jacques TEMPLE
Frédéric Jacques TEMPLEFrédéric Jacques TEMPLE

Le 23 novembre 2019, Frédéric Jacques Temple vient présenter à la Maison de la Poésie Jean Joubert, en compagnie de Habib Tengour, l'anthologie Poèmes en archipel, que viennent de publier à Alger les Editions APIC (collection poèmes du monde dirigée par Habib Tengour). Lectures à trois voix : Frédéric Jacques Temple, Annie Estèves, Habib Tengour. Ce sera la dernière lecture publique de Frédéric Jacques Temple.

Note de lecture d'Annie Estèves sur Facebook à propos de cet ouvrage, Page Annie Estèves lectrice et sur la revue en ligne Recours au Poème.

Frédéric Jacques TEMPLE

Note de lecture de Benjamin GUERIN, parue dans la revue Europe n°1101-1102, janvier-février 2021.

Frédéric Jacques TEMPLE

La poésie peut-elle encore nous faire aimer la vie ? Ce livre nous fait sentir la beauté de l’existence, qui est avant tout un lien intime, que l’on entretient avec le monde. Par le sextant du soleil (...) nous plonge dans l’univers poétique de Frédéric Jacques Temple, depuis le Languedoc jusqu’au fin fond de l’Amérique, pour y retrouver ce qu’il y a d’immémorial dans le monde : des pierres, des arbres, un oiseau, un ami. Dans son excellente préface, Bruno Doucey raconte qu’il a nommé “Frédéric Jacques Temple” un petit village grec, battu par les vents et la mer, avec des ruines et un olivier millénaire. Il y a quelque chose d’Ulysse chez ce poète.

Son dernier recueil Sirventès est étonnant, car il pique notre bonne conscience, pour nous ramener à ce qui est important. Il nous rappelle que mépriser l’environnement est un travers qu’il faut savoir moquer : “L’homme / seul animal / obstiné à se perdre / en éboulant la terre.” Cette vigueur écologique, qui résonne avec l’actualité, est celle d’un poète qui approchait hardiment les 100 ans lorsqu'il nous a quittés l'été dernier. F. J. Temple nous démontre ici que la fraîcheur et la jeunesse ne sont pas tributaires des années. Le sirventès est un genre satyrique des troubadours occitans, qu’il reprend pour dénoncer la bêtise de notre siècle avec clairvoyance et un humour teinté d’autodérision. “Si tu n'es pas sage / je t'enfermerai / dans le béton / des fausses pyramides / où bat toujours / sous l'imposture / mon cœur d'enfant / sauvage.” On pense à La Grande Motte, ce projet pharaonique d’aménagement du territoire pour les touristes, qui a ravagé les roselières et les étangs où vivaient les pêcheurs d’anguilles, parmi les moustiques à palu — eux seuls ont fini par revenir dans le Golfe du Lion, à la faveur du changement climatique. Pour l’auteur de La Chasse Infinie, récemment réédité chez Poésie/Gallimard, l’environnement n’est pas vécu comme une nature distincte de l’homme, qu’il faudrait éviter de toucher pour mieux la préserver, c’est au contraire une relation vivante entre les humains, la flore, la faune, les sols, les minéraux, le tout formant un équilibre mouvant, fait d’interactions parfois sauvages. C’est pour lui une source essentielle de la poésie. “Ils sillonnent le monde entier, / les hommes, sourds aux battements du coeur / de la terre. / Dans la mortelle indifférence / ils se hâtent de faire naufrage”.

La langue de F. J. Temple est délicieuse car elle pique sans la moindre rancoeur, avec un sens aigüe de l’essentiel. Le ton est rieur et salé ; il nous bouscule parfois comme le ferait un ami. Il faut dire que le poète a passé l’âge de s’encombrer des banalités et du superflu. Chantant son goût pour la vie, l’amour de sa compagne et ses grandes amitiés, il nous laisse en partage ce viatique : “Attention / à ne pas éteindre / en toi / le soleil.” Frédéric Jacques TEMPLE : Par le sextant du soleil suivi de Sirventès (Bruno Doucey, 14 €)

Benjamin GUERIN

 

Frédéric Jacques TEMPLE
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