Le projet "Les poètes traduisent les poètes", porté par la Maison de la Poésie Jean Joubert et parrainé par Jean-Baptiste PARA, a été soutenu par "Montpellier 2028" dans le cadre de la candidature de Montpellier pour devenir capitale européenne de la Culture.
Finaliste, Montpellier n'a pas obtenu le titre, mais bien sûr, les projets lancés continuent.
Nous avons le plaisir de vous présenter aujourd'hui les premières contributions au "Carnet de traductions" des poètes participants au projet "Les poètes traduisent les poètes".
A l'initiative de Jean-Baptiste Para, nous avons demandé aux poètes traducteurs de nous confier quelques pages d'une traduction inédite de l'un de leurs poètes d'élection.
Voici leurs choix.
Dessins de Jacquie BARRAL.
Nicolaï ZABOLOTSKI traduit par Jean-Baptiste PARA (russe)
Dimitris PERODASKALAKIS traduit par Anne BARBUSSE Fabio SCOTTO (grec moderne)
Ángel Campos Pámpano traduit par Jean-Gabriel COSCULLUELA ( espagnol)
Fabio SCOTTO traduit par Sylvie Fabre G. (italien)
Raffaela FAZIO traduite par Eric SARNER (italien)
Ronny SOMECK traduit par Michel ECKHARD-ELIAL (hébreu)
Nicolaï ZABOLOTSKI traduit par Jean-Baptiste PARA
Николай Заболоцкий
Уступи мне, скворец, уголок,
Посели меня в старом скворешнике.
Отдаю тебе душу в залог
За твои голубые подснежники.
И свистит и бормочет весна.
По колено затоплены тополи.
Пробуждаются клены от сна,
Чтоб, как бабочки, листья захлопали.
И такой на полях кавардак,
И такая ручьев околесица,
Что попробуй, покинув чердак,
Сломя голову в рощу не броситься!
Начинай серенаду, скворец!
Сквозь литавры и бубны истории
Ты — наш первый весенний певец
Из березовой консерватории.
Открывай представленье, свистун!
Запрокинься головкою розовой,
Разрывая сияние струн
В самом горле у рощи березовой.
Я и сам бы стараться горазд,
Да шепнула мне бабочка-странница:
«Кто бывает весною горласт,
Тот без голоса к лету останется».
А весна хороша, хороша!
Охватило всю душу сиренями.
Поднимай же скворешню, душа,
Над твоими садами весенними.
Поселись на высоком шесте,
Полыхая по небу восторгами,
Прилепись паутинкой к звезде
Вместе с птичьими скороговорками.
Повернись к мирозданью лицом,
Голубые подснежники чествуя,
С потерявшим сознанье скворцом
По весенним полям путешествуя.
1946
NIKOLAÏ ZABOLOTSKI
Je prends si peu de place, sansonnet,
Laisse-moi entrer dans ton vieux nichoir.
Je mettrai mon âme en gage
Pour tes perce-neige bleus.
Le printemps siffle et babille.
Les peupliers sont noyés jusqu’aux genoux
Et les érables sortis du sommeil applaudissent
Comme font les papillons.
Quelle pagaille dans les champs !
Et tous ces ruisseaux qui jasent !
Si tu quittes ton grenier, sansonnet,
Ne file pas au bois tête baissée !
Commence ta sérénade, petit étourneau.
L’histoire a ses tambours et ses timbales,
Mais au conservatoire des bouleaux
Tu es le premier chanteur du printemps.
Ouvre donc le bal, gentil siffleur !
Renverse ta tête rose
Et déchire dans la gorge de la boulaie
Une splendeur de cordes.
Je serais bien tenté de chanter moi aussi
Mais un papillon nomade m’a dit à l’oreille :
« Celui qui s’égosille au printemps
N’aura plus de voix quand l’été viendra. »
Le printemps est si beau !
L’âme déborde de lilas
Et soulève sur ses jardins reverdis
Une cage à étourneau.
Perche-toi sur une haute tige, ô mon âme,
Et si le ciel est ton feu et ton ravissement,
Avec tous les chants d’oiseaux volubiles
Suspends-toi à l’étoile par un fil d’araignée.
Tourne ta face vers l’univers
Et rend hommage aux perce-neige bleus,
Toi qui partages l’ivresse de l’étourneau
En suivant à travers champs les chemins du printemps.
[1946]
Traduit du russe par Jean-Baptiste Para
Né en 1903 près de Kazan, mort à Moscou en 1958, Nikolaï Zabolotski est l’un des grands poètes russes du XXe siècle. Une anthologie de ses poèmes a paru en français aux éditions La Rumeur libre sous le titre Le Loup toqué (2016). Couvrant tout l’arc de son itinéraire poétique depuis 1926 jusqu’à sa mort, elle donne également à lire l’inoubliable récit de son arrestation pendant la Grande Terreur et de sa déportation à Komsomolsk-sur-l’Amour.
Dimitris Perodaskalakis
Traduction Anne BARBUSSE
Δημητρης Περοδασκαλακης
Η Σφίγγα έστειλε email
Εκδοσεις Γαβριηλίδης, 2018.
Dimitris Perodaskalakis,
Le Sphynx envoyait un email
Editions Gavrielidis, 2018.
Traduction Anne Barbusse
ΔΕΛΦΟΙ
Μπορεί οι Δελφοί να καταργήθηκαν
να έχει σβηστεί το λάλον ύδωρ
μαντεία και χρησμοί να έχουν αλλάξει τόπους
ψηφιακά το μέλλον πλέον να προβλέπεται
Κι όμως τους κουβαλάμε τους Δελφούς παντοτινό φορτίο
Κάτω απ' το δέρμα, αδέλφια μου
τυλίγει η Πυθία τους χρησμούς
όπως η μάνα καθενός
όταν μας φάσκιωνε μωρά
DELPHES
Delphes peut être supprimé
l’eau bavarde éteinte
les divinations et les oracles avoir changé de lieux
l’avenir être désormais prédit de manière numérique
Et cependant nous portons Delphes telle charge perpétuelle
Sous la peau, mes frères,
la Pythie enveloppe les oracles
comme la mère de chacun
quand elle nous emmaillotait bébés
*
ΜΝΗΜΗ ΟΔΥΣΣΕΩΣ
Κάποια στιγμή κατέβηκε κι αυτός
ως ήταν φυσικό στον άλλο κόσμο
για δεύτερη φορά και τελευταία
Γνώριμος του φαινότανε ο τόπος
από την πρώτη εκείνη εκ του ασφαλούς κατάβαση
όταν του Τειρεσία έψαχνε τον ίσκιο
Μάλιστα καθότι πολυμήχανος
έχει στον κάτω κόσμο διαδίκτυο
έτσι μαθαίνει όλα τα νέα για σύγχρονες Ιθάκες και για Τροίες
Τον συγκινούνε ειδικά οι πρόσφυγες και τα ναυάγια κυρίως
μονολογεί κουνώντας το κεφάλι του:
«Αχ, αυτός ο Ποσειδώνας, ίδιος πάντα επί δικαίους και αδίκους»
Γι' αυτό και παρακολουθεί πού οι χοές τους γίνονται στη γη
στήνει αυτί και στάλα στάλα το κρασί μαζεύει
μήπως τυφλώσει τον καιρό
MEMOIRE D’ULYSSE
A un moment donné il est descendu lui aussi
comme il était naturel dans l’autre monde
pour la deuxième fois et la dernière
L’endroit lui paraissait familier
depuis cette première descente sans risque
quand il cherchait l’ombre de Tirésias
De plus grâce aux mille ruses
il a dans le monde d’en bas internet
ainsi il apprend toutes les nouvelles des Ithaque et des Troie contemporaines
L’ont en particulier ému les réfugiés surtout et les naufrages
il se dit en secouant la tête
« Ah, ce Poséidon, toujours le même envers les justes et les injustes »
C’est pourquoi il surveille aussi où leurs libations se déroulent sur terre
il tend l’oreille et goutte à goutte il récolte le vin
au cas où il doive aveugler la météo
Δημητρης Περοδασκαλακης
Η Σφίγγα έστειλε email
Εκδοσεις Γαβριηλίδης, 2018.
Dimitris Perodaskalakis, , Le Sphynx envoyait un email Editions Gavrielidis, 2018.
Ángel Campos Pámpano
Traduction Jean-Gabriel Cosculluela
Ángel Campos Pámpano
La huella
escribir de ese día
es borrar las palabras
hubo un vacío
rotundo
al acercar mis labios
a tus manos hinchadas
las que guardaron para sí
tanta fatiga
desfallecían
en su propia espesura
la lengua silenciosa
la lóbrega semilla de las venas
el nudo de los huesos
el pulso
de un corazón cansado
hubo un vacío hondo
como un largo exilio desmedido
en la fisura sin tregua de su imagen
tachadura de nube
en el cielo de la tarde fragmentada
en la enigma del miedo mismo
no fue un silencio
fue una irreparable vaciedad
siembra profunda
ahondada con mis dedos
memoria verbal
caligrafía
enhebrada en la lluvia
como esta lengua oscura que ahora lame
la tierra débilmente
hasta borrar el nombre
trazado con mis uñas poco antes
escribir de ese día
es borrar las palabras
igual que esa luz que fluye repetida
y sin aliento casi
se hace agua
así queda tu huella
vacía ya
deshecha en barro
La trace
écrire de ce jour
c'est effacer les mots
il y eut un vide
une fois pour toutes
en approchant mes lèvres
de tes mains gonflées
celles qui ont gardées pour elles
tant de fatigue
se fatiguaient
dans leur propre profondeur
la langue silencieuse
la graine obscure des veines
le noeud des os
le pouls
d’un cœur fatigué
il y eut un grand vide
comme un long exil sans fin
dans la déchirure sans cesse de son image
tache de nuage
dans le ciel dispersé de l'après-midi
dans le secret
de la peur elle-même
ce ne fut pas un silence
ce fut une irréparable vide
semence profonde
dans la terre profonde creusée de mes doigts
mémoire de mots
calligraphie
traversée sous la pluie
comme cette langue sombre qui maintenant effleure
la terre faiblement
jusqu’à ce que le nom soit effacé
tracé avec mes ongles un peu plus tôt
écrire de ce jour
c'est effacer les mots
comme cette lumière qui se disperse
et presque à bout de souffle
se fait eau
ainsi, ta trace reste
vide déjà
défaite dans la boue
traduction de l'espagnol
Jean Gabriel Cosculluela
Ángel Campos Pámpano, né à San Vicente de Alcántara le 10 mai 1957 et mort le 25 novembre 2008 à Badajoz, est un poète et essayiste espagnol et traducteur du portugais. Auteur d'une une quinzaine de livres de poésie. Il a fondé et dirigé les revues littéraires Espacio/Espaço escrito ainsi que Hablar/Falar de Poesía,(cette dernière entre autres, avec Alfonso Alegre Heitzmann), véritable trait d’union entre les cultures et les littératures espagnole et portugaise. Ángel Campos Pámpano a traduit en espagnol les principaux auteurs portugais du xxe siècle : Sophia de Mello Breyner Andresen, Eugénio de Andrade, Carlos de Oliveira, Fernando Pessoa, José Saramago, António Ramos Rosa.
Ángel Campos Pámpano est traduit en France par Jean Gabriel Cosculluela. La huella fait partie d'un livre en cours de traduction.
Fabio Scotto
Traduction Sylvie Fabre G.
Fabio Scotto
L’ORO DEL GIORNO
Extraits de: © La nudità del vestito, Nuova Editrice Magenta, Varese, 2017.
La pelle ha parlato. Dalle sue pieghe ogni parola è stata udita. Dapprima una voce forte di donna matura, poi più flebile, quasi un sussurro di bimba. Nel buio le carezze si disperdono, restano muti gesti rubati alle stelle, l’ombra delle dita sugli occhi feriti dal vento. Attorno è musica, una pioggia sottile di petali. Le api a sciami dalla bocca, verso l’oro del giorno.
La Nudité du vêtement
Tout voit en toi, même les yeux
II L’or du jour
La peau a parlé. De ses plis chaque parole a été entendue. D’abord une voix forte de femme mûre, puis plus faible, presque un murmure d’enfant. Dans le noir les caresses se dispersent, restent les gestes muets volés aux étoiles, l’ombre des doigts sur les yeux blessés par le vent. Alentour est musique, une pluie de pétales légère. De la bouche, les abeilles en essaims, vers l’or du jour.
Il volto avvolto dalle fiamme s’abbruna come carta nel camino che il fuoco prende del suo moto verticale rosso sangue per le pietre. Arde puro d’una estrema bellezza senza versare lacrime e come illeso, per un istante, nell’enigma della vista, poi il calore lo morde agli occhi nella calda notte e trema al crepitio della cenere l’osso dell’immagine.
Enveloppé par les flammes le visage brunit tel le papier dans la cheminée que le feu prend en son embrasement vertical, rouge sang pour les pierres. Il brûle d’une absolue beauté sans verser de larmes, pur et comme indemne, un instant, dans l’énigme de la vue, puis la chaleur le mord aux yeux incendiant la nuit et à la crépitation des cendres répond tremblant l’os de l’image.
Vederti è bruciare di quel fuoco che incendia l’aria tutt’attorno alla luce dei tuoi occhi, cristalli rubati ai diamanti africani. Le mani vorrebbero toccare, ma la luce si ritrae impalpabile. Sfiorano l’aria che imbeve di te ogni soffio. Che parola sospesa è la luce. Nel volto sono febbre che ghiaccia verso un sud cui mi chiami.
Te voir c’est brûler de ce feu qui incendie l’air entier autour de tes yeux, cristaux dérobés aux diamants africains. Les mains voudraient toucher, mais la lumière se rétracte impalpable. Elles effleurent l’air, imprégnant de toi chaque souffle. Quel mot suspendu, la lumière. Sur le visage je suis cette fièvre qui gèle vers un Sud d’où tu m’appelles.
Raffaela FAZIO
Traduction Eric Sarner
Raffaela Fazio, née à Arezzo (Italie) en 1971, travaille comme traductrice à Rome, où elle s'est installée après avoir vécue dix ans dans différents pays européens. Ses études et intérêts concernent principalement les langues, la poésie et l'art.
Elle a publié neuf recueils de poèmes ainsi que des traductions de R. M. Rilke, Edgar Allan Poe et Renée Vivien.
Les quatre poèmes qui suivent sont extraits de "A grandezza naturale 2008-2018", paru aux éditions Arcipelago Itaca en 2020.
La traduction en français de ces quatre poèmes est d’Eric Sarner avec l’autrice.
Le site de Raffaela Fazio : : https://www.raffaelafazio.it/
Sulla scogliera scoscesa
sull’ultima zolla indivisa
dove è confitta la tua bandiera
resta.
Contro il petto fatti serrare
come uno scudo
contro la tempesta.
Solitudine
resta.
Au sommet de la falaise
sur la dernière motte indivise
là où ton drapeau est hissé
reste.
Contre ma poitrine laisse-toi serrer
tout comme un bouclier
contre la tempête.
Solitude
reste.
Mi è nato un figlio
e una cosa tutta nuova
che si chiama (come altre) amore
per mancanza di parole.
Così forse
avverrà in noi
una stessa mutazione
quando chiameranno
(a corto di pensieri)
la nostra vita
morte.
Un fils m’est né
et cette nouveauté
qu’on appelle (comme d’autres choses) amour
faute de mots.
C’est peut-être ainsi
que se produira en nous
une même mutation
quand ils appelleront
(à court de pensées)
notre vie
mort.
Ci sono intarsi nell’ombra
insetti nell’ambra
e foglie nelle crepe.
Ci sono cose così silenziose
da essere vere.
E crescono con te senza un’eco.
Come un ricciolo
dietro la nuca.
Il y a des nervures dans l’ombre
des insectes dans l’ambre
et des feuilles dans les fissures.
Il y a des choses si silencieuses
qu’elles sont vraies.
Et elles grandissent avec nous sans écho.
Comme une boucle
là, sur la nuque.
Quando ti parlo
e mi rispondi e mi parli
e ti rispondo e ti offro la colazione
io cerco parole
dai polsini puliti
cerco in pensieri finiti
la precisione.
Ma se ti guardo e ti parlo
e mi parli e ti ascolto
e mi guardi
io vedo
che c’è un angolo cieco
e persino
nella parola più esatta
un’eco
che non si fa riflesso
perché sempre
quando di noi mi parlo
mezza manica
fuoriesce dal cassetto.
Quand je te parle
et que tu me réponds et que tu me parles
et que je t’offre une collation
je cherche des mots
aux manchettes propres
je cherche dans des pensées finies
la précision.
Mais si je te regarde et te parle
et que tu me parles et que je t’écoute
et que tu me regardes
j’aperçois
un angle mort
et dans le mot le plus vrai
même
un écho sans reflet
parce que toujours
quand je me parle de nous
(sans le vouloir) une manche
sort du tiroir.
Ronny Someck
Traduction Michel Eckhard-Elial
Pourquoi j’aime le cinéma français
pour Michel Eckhard Elial
Les Gitans de tirer sur leurs Gauloises
dont les bouffées semblaient remonter
d’une fabrique de manteaux aux cols cheminée.
Et Jean-Paul de griller encore une cigarette
devant le bikini mythique
de Brigitte.
Avec mes 19 ans et l’acné sur mon visage
je savais que la photo d’Alain Delon
au-dessus du lit de ma petite amie
ne me laissait aucune chance.
Je n’avais pas d’autre choix que de succomber au charme de Catherine Deneuve
en ouvrant le parapluie de l’amour
comme celui qu’on ouvre
sous les bourrasques de pluie.
Heureusement qu’il y avait encore des nuits pour imaginer
que quelque part en France on vivait
au rythme des machines à coudre qui confectionnaient
les robes de soirée de Pierre Cardin.