Mise à jour 24 janvier avec les propositions de James Sacré, Patricio Sanchez, Christian Malaplate, Fanette Debernard...
Merci pour votre participation aux Nuits de la Lecture 2021.
"Relire (et relier) le monde".
Voici les textes proposés par les membres de la Maison de la Poésie Jean Joubert.
Sur un autre Page, vous trouverez leurs enregistrements.
Sur une autre Page, les textes et enregistrements en "libre expression", une autre formule de la scène ouverte éphémère.
Bonne lecture!
Jean-Louis Keranguéven
a choisi un texte de Philippe JACCOTTET extrait de A la lumière d'hiver éd.Poésie/Gallimard
p:95
Ecoute, vois: ne monte-t-il pas quelque chose
de la terre, de beaucoup plus bas,
comme une lumière, par vagues, comme un Lazare
blessé, surpris, par lents battements d'ailes
blanches- alors qu'un instant tout se tait,
et c'est vraiment ici où nous sommes, apeurés-,
et ne descend-il pas de plus loin que le ciel
à leur rencontre d'autres vols, plus blancs
-pour n'être pas passés parmi les racines boueuses-,
et ne courent-ils pas à présent les uns vers les autres
de plus en plus vite, à la lumière
des rencontres d'amour ?
Ah pense-le, quoiqu'il en soit, dis-le,
dis que cela peut être vu,
que vous saurez encore courir comme cela,
mais bien cachés dans le manteau rêche de la nuit.
Texte de Jean-Louis Kéranguéven
l'arbre qui
m'étreint
a buvardé
l'hémorragie
à présent
s'y agrège
le désir
d'oiseau
Jean-Louis Kéranguéven
Manuela PARRA
Proposé par Manuela Parra :
Les métamorphoses des pierres de Jean Joubert
Titre du recueil : « Longtemps j’ai courtisé la nuit » - Edition Bruno Doucet 2016
J’avais une pierre
Pas un arc en ciel, pas un tigre,
Une pierre de pierre, une pierre
Comme en jettent aux chiens les enfants,
Comme en sucent les bûcherons, les bouchers,
Une pierre dure aux doigts, lisse aux lèvres.
Une vraie pierre blanche et bleue
Que sue la terre dans ses gouffres.
Je la mis dans ma poche et je pleurai.
C’était la fin du monde ;
C’était le commencement du monde.
J’avais devant mes yeux le soulèvement des limons,
La naissance difficile des étangs et des fleuves,
Le premier envol des monstres,
La chute du soleil.
J’avais devant les yeux la poussière des montagnes
Et la montagne poussait en sapins,
En patte d’ours, en vol de guêpe
En gorge goulue sous la neige.
Et comme je pleurais, pauvre enfant sous la lune,
Ce furent les métamorphoses de la pierre.
Et la pierre fut grillon, puis pierre, puis nostalgie de la
bête et du chant, puis grillon – grincement de la nuit –
puis pierre.
Et la pierre fut ville. Les femmes à midi jetaient leurs
robes sur le seuil brûlant des temples. La plus belle
voulait qu’on l’aimât. Elle riait dans le soleil et moi,
voleur de vent, jamais je ne vis tant de chairs.
Et la pierre fut femme et je la mis dans ma bouche
comme une langue. Je la mis dans mon lit, dans ma
tête, dans mon ventre et elle cria.
Et la pierre fut scorpion, chancre, cancer.
Je pris peur et la jetai dans les puits
Le puits n’a pas de fond.
Le puits n’a rien rendu,
Pas un écho, pas une épave.
Un fou le dit hanté de Dieu.
Texte de Manuela Parra:
L’aveugle
Il faudra tout recommencer,
réapprendre de l’ombre l’existence de la lumière,
émerger des colères et reprendre pied sur terre,
frôler l’indifférence sans la sentir meurtrière,
décrypter les sons des paroles étouffées,
glisser sur la sueur des mains étroitement serrées
avec bonheur, avec rancœur, avec ou sans animosité.
Aveugle des mots, des gestes, des regards échangés,
il faudra inventer dans la brume les formes vacillantes,
incarner de mémoire, colorer de mémoire ce monde étrange
aux variations extravagantes.
Aveugle, perdu dans la tourmente,
il faudra hésiter, résister,
écouter l’écho des plaintes ancestrales rapporter jusqu’à nous
les blessures profondes de la peur, du froid, de la faim,
de l’ignorance éclairée de lumières
Aveugle, perdu sur le chemin de la conscience,
Il faudra tout re-toucher, tout ré-animer, tout re-trouver,
tout re-construire, tout changer, tout espérer, tout re-vivre
en marchant à tâtons, aveugle visionnaire, dans l’obscure raison.
Manuela Parra janvier 2021 – Recueil en cours « Siècle 21-2020 »
Chantal Enocq
Chantal Enocq a choisi:
Edith Södergran, Poèmes complets, éditions Pierre Jean Oswald (Vues sur Loire)
Marie-Agnès SALEHZADA
Marie-Agnès Salehzada a choisi:
Céline Zins
Océan (l’Arbre et la glycine)
Océan
vent
effluves métalliques
incessant déferlement de houle blanche
une seule et même houle roulant son éternité mouvante
bruit d’immensité
murmure solitaire
mouvement de l’immobile
point d’orgue à l’horizon sans fin vibrant
sa corde d’acier liquide
Et le sable scintille et se moire au souvenir et dans
l’attente des eaux ascendantes
caresse et morsure
mémoire déposée des objets du temps, de l’oubli,
de l’inoubliable
fragiles traces de passage
coquilles vides
signes de vie, signes de mort, signes du travail des
eaux, transformation lente par le temps des éléments
sur le vif, sur le mort
Une seule respiration battante de l’eau, de l’air,
la terre accueil miroir
espace au rythme lancinant
Habiter cet espace
au lieu de son empreinte
déshabitée.
Texte de Marie-Agnès Salehzada:
Marie-Agnès Salehzada (La mémoire du pré)
L’adieu aux sources
Monts du Lyonnais tapis en ombres chinoises
Poussière de charbon, crassier
La civilisation s’estompe dans les replis du crépuscule
Victoire ombrée sur l’azur
L’adieu aux sources des villages
Le tumulte des fontaines
L’engoulevent reprend son antienne
Le geai alors à son repos
Eveil du peuple des ténèbres
Paul Martin- Granel, éditions L'Acèu libre
Paul Martin- Granel a choisi Frédéric Fijac
Frédéric Fijac, in Setòrias (Sétoises), éditions L’aucèu libre, Salinelles, 2020
Version française
Je ne crains rien
C’est que
dans mon pays
ils n’élaguent pas les hommes
ils ne castrent pas non plus les bibliothèques
et les poètes
que la moindre pluie fait corner
dans des vignes gorgées de pesticides
personne n’en fait plus
cargolade
Je ne crains rien
Il y a belle lurette par ici
que les culs pelés d’Orphée
ne jouent plus
leur tête
sur la tournière
Là-bas
des ménades
drapées de ténèbres
déchiquettent les marchés
Hadès n’en recueillera
que les miettes
Là-bas
au nom de Baal Bouddha
dans des crèches ardentes
ils balancent
des bébés
Les fosses sont grosses de poètes à venir
Je ne crains rien
La pétition
pour sauver
Ashraf
je l’ai signée en ligne
huit ans et huit cents coups
de fouet
Palestinien, passe, mais poète
J’ai beau signer
j’ai beau écrire
je ne risque pas grand-chose moi
à part d’être fustigé
au détour d’une page
par la traîtrise
de quelque bon ami
Je n’espère rien
non plus
puisqu’aux oiseaux égarés
jamais poème
n’offrira de reposoir
sûr
Perdue dans le camp
il y a une petite mésange
cramponnée au portable
de l’infirmier
elle demande à son père
La vie est dure
là-bas ?
Puis les yeux dans les yeux
Dis Monsieur
des dauphins on en trouve pour aller chez toi ?
C’est que je les aime moi
ces djinns
qui s’ingénient à sauver les papas
perdus
en haute mer
Je n’espère rien
Nous les poètes, nous ne sommes pas des dauphins
Version originale occitane
Crenti pas res
Mès que
dins mon país
rabugan pas los òmes
ni mai crestan pas las bibliotècas
e los poètas
que lo temps pluèg los fai cornar
per de vinhas embegudas de pesticidas
digun ne fai pas pus
cagaraulada
Crenti pas res
I a bèla pausa qu’empraicí
los cuolpelats d’Orfèu
jògan pas pus
son cap
sus la talvèra
Enlai
menadas
de tenèbras veladas
espèçan los mercats
Aidès n’amassarà
sonca brigalhs
Enlai
al nom de Baal Bodà
dins de grèpias ardentas
se t’escampan
nenets
Los cròs son prens de poètas avenidors
Crenti pas res
La peticion
per desliurar
Ashraf
en linha l’ai signada
uèit ans e uèit-cents còps
de foet
Palestinian rai mès poèta
Pòdi signar
pòdi escriure
arrisqui pas grand causa io
sonca d’èstre flingat
al virar d’una paja
per la falsièra
d’unes amics dels bons
M’espèri pas a res
tanpauc
que pels ausèls descaminats
jamai poèma
serà pas pausador
segur
Soleta dins lo camp
i a una mesengueta
arrapada al telefonet
de l’infirmièr
e damanda al papà
La vida es dura
enlai ?
Puèi los uèlhs dins los uèlhs
Diga Monsur
se’n trapa de dalfins per anar en çò teu ?
saps que los aimi io
a-n-aquels jins
quand s’i fan a salvar los pairs
perduts
en mar deliura
M’espèri pas a res
Sèm pas de dalfins los poètas
Paul Martin-Granel a choisi :
Silvan Chabaud, in Montar – Monter, éditions L’aucèu libre, Salinelles, 2016
Max Sagon pour la photographie
Monter
Monter
C’est éprouver l’attraction terrestre,
Savoir que nous sommes pierre, sable et poussière.
Savoir que nous sommes au chemin,
Chaque gravier qui craque au sol résonne dans le squelette :
Souvenir céleste.
Mais le ciel est vide.
La réalité du monde, seulement, dessous nos pieds.
Montar
Montar
Es esprovar l’atraccion terrèstra,
Saupre que siam pèira, sabla e posca.
Saupre que siam au camin,
Cada graveta que cracina au sòu ressona dins l’ossamenta :
Sovenir dau celèstre.
Mai lo cèu es vuege.
Sonque la realitat dau monde dessota lei pès.
Michaël Glück
Michaël Glück a choisi: Pia TAFDRUP
FLAMME DE COQUELICOT
Je suis le sablier où le sable
ne se dépose pas pour dormir.
Je souhaite reposer sur un courant sauvage,
écouter le rythme de ton sang,
le battement de ton cœur.
Je souhaite une étreinte
qui ne façonne pas l’être étreint
selon celui qui étreint.
Je souhaite croire en
ce qui ne peut être anéanti
et qui n’anéantit pas.
Je suis l’aile et le départ
d’une vie au point d’arrêt.
Le rêve d’une rencontre
existe
flamme de coquelicot dans un champ de blé.
Le rêve d’atteindre
une mémoire partagée
sans se perdre soi-même.
Je voudrais tellement croire, c’est possible
mais ça l’est peut-être
uniquement dans un poème ?
Au commencement, la langue et les lèvres se contentent
de le murmurer
au travers d’une fissure du temps.
Pia Tafdrup, Le Soleil de la salamandre, Éditions Unes, 2019, page 56. Traduit du danois par Janine Poulsen.
Marie-Christine Dhéron
Marie-Christine Dhéron a choisi: Joachim du Bellay
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.
Joachim du Bellay, Les Regrets (1558), sonnet 31.
Texte de Marie-Christine Dhéron:
TEXTE du recueil « VOYAGES ET TRANSPARENCES » MC DHERON ed Sajat 2020
PORTE 5
"Je ne suis que ce rêve emporté par le vent
Des glaciers de Norvège au pays Mambéré..."
De glace et de feu... Elle attendait le vol d'Icelandair qui allait l'emmener vers la dérive des icebergs, au pied de l'immense glacier que les flammes du Vatnajökull morcelaient et faisaient fondre sur les vagues de la lagune océane.
Un chapelet de bois sur la peau brune de ses mains sans âge, elle errait au milieu des sièges de la salle d'embarquement de l'aéroport, surchargée de voyageurs bavards, angoissés ou simplement heureux de la banalité dépaysante de ce court trajet qui les mènerait plus loin que leurs pensées profanes.
Qu'attendait-elle ainsi alors que sa longue robe grise frôlait des sandales ouvertes sur ses pieds revêtus de fines chaussettes blanches ?
Une prière, juste une prière... vers quel dieu portait-elle son sourire fragile en énigme de sa peau si noire ?
Égarées ses pensées vers son Afrique natale, entre baobabs, steppe brûlante et feulement nocturne des fauves craintifs et affamés... et la cruauté des hommes...
Égarés ses rêves paisibles et solitaires à rejoindre la petite église de Bangui ou de Niamey...
Égarés ses songes de paix dans le fracas des lames, des bombes et du sang...
Qu'attendait-elle ici la petite sœur au doux sourire si triste et au chapelet de bois...
Au Nord, plus au Nord... le froid sur ses plaies, le feu sur ses souvenirs...
Porte 5... Une petite sœur priait en silence vers les glaciers d'Islande. Elle saisit un pauvre sac à dos de toile grège, se dirigea vers la passerelle, la main serrée sur les perles d'un olivier abattu par la foudre des hommes.
Elle me passa le relais de la prière saisie au fond de ses yeux noirs ; je la suivis sans plus la voir et je la suis encore du fond de ma mémoire.
Une prière, juste une prière,
vers les glaciers de cendres
dérivant sur son Âme.
Anne-Marie JEANJEAN
Anne-Marie Jeanjean a choisi Michel Cassir
Musiciens de Kos
(…)
chapelle abandonnée à l'ascendant des falaises
patrie de chèvres croqueuses de sacré avec leur
penchant naturel à la débauche
clin d'œil de l'au-delà toute chute s'élève
nous retombons sur une baie austère qui n'est
pas encore le paradis mais s'en rapproche au
nom de l'image pieuse parmi les pieuvres
Michel Cassir
Lame (fragment)
L'Harmattan - Coll. Levée d'Ancre
Texte d'Anne-Marie Jeanjean
(NE PAS)… SOMBRER
Tourbillon intérieur qui se creuse : vitesse de l'éclair -
me fragmente - m'aspire -
laisse ma carcasse sans mouvement - pantin -
momie - marionnette sidérée - inerte - inhabitée -
Où ai-je ainsi voyagé
avant de revenir
en moi-même
Anne-Marie Jeanjean
SANS brise-lames
L'Harmattan - Coll. Levée d'Ancre
Pierre Ech-ARDOUR
Pierre Ech-Ardour a choisi:
Claude Vigée
LA LUTTE AVEC L’ANGE
Un chant de sombre joie dans l’agonie du temps
(Poèmes 1939-1949)
Éditions L’Harmattan (Novembre 2020)
Ce poème est issu de : LES SUPPLICES D’ARIEL – page 125
Bras qui levez dans l’ombre un fleuve de fraîcheur
Votre amour ne m’est rien, vous ne pouvez m’aider.
Il faut errer sans fin par les forêts étranges
Et ne jamais dormir qu’aux portes des auberges.
La femme, fruit d’étoile aride et convoité,
Couve en sa pulpe étroite une chaude blessure ;
Celle que j’ai cueillie aux arbres de la mer
M’en réserva le don pour se perdre en moi-même
Et tordre dans mon sang la flamme de son corps.
Quand nos membres liés dansèrent dans la joie
Selon l’ébranlement immémorial des reins,
Je sentis à la pointe obscure du délice
S’effriter son épaule en mes poignets lourds
Et sourdre de son flanc l’absence intarissable
Comme un fleuve oublié qui déborde la nuit.
Texte de Pierre Ech-Ardour:
Enceinte d’infinitude
La lumière délivre le silence
Imperceptiblement s’épanche
lustrale l’élégie de ta langue
Par-delà pénombre et apparence
depuis l’orbe fugaces tes mots
déversent spacieuses moult exhalaisons
Comment ne pas étreindre tes accents
impétueux aux atemporels messages ?
Dans la soif de nos apartés
à satiété se contient ta voix
tel un chant qui me déleste
Ténue ton écriture tatoue assouvie
le sépulcre où nos insomnies reposent
Effeuillés et mordus
témoignent ces os desséchés
Confluence de nos vies
Pierre Ech-Ardour
Septembre 2018
Danielle HELME
Danielle HELME a choisi:
Frédéric Jacques Temple
Phares, balises & feux brefs
Cuba
Des végétaux repus,
des fleurs extravagantes,
un pélican limpide
ramant dans le bleu délavé,
m’étonnent et je ris
de l’exubérance grave des enfants
qui, de naissance, dansent,
vêtus de multicolores chiffons,
proclamant le carnaval
dans le frémissement d’odeurs femelles,
sous les ficus tentaculaires ;
et l’orchestre enflammé,
cigares, panamas, chemises roses,
s’envole dans la mer
au-delà des tuiles ardentes,
avec l’esprit du rhum
ensorcelant.
Texte de Danielle Helme
Transfère
Tous deux
similaires on s’allonge
peau nue,
à même les longues roches polies.
A chaque inspiration,
je me laisse porter par le mouvement
tranquille du courant,
par le bruit du rapide au loin,
par les rayons obliques du soleil,
par le magnétisme de ton regard.
Ces signes secrets que nous partageons,
avec une impression de confiance,
consciente de mon attachement pour toi,
de la félicité du moment.
Le magnétisme du paysage
se transfère en moi,
jusqu’à l’indistinction
d’une présence de siècles
concentrés dans ce laps de temps.
La Baume
Danielle HELME (à paraître)
Violette Guyot
Violette Guyot a choisi :Marc Havet
{Rien ne sera jamais plus comme avant}
Les humains seront tous des princes
Et les princes tous humains
Les heureux seront plus justes
Et les justes plus heureux
Les absents auront moins tort les torts seront moins absents
Rien ne sera jamais plus comme avant.
Les états ne f’ront plus d’veuves
Les veuves n’en f’ront plus état
La misère f’ra moins d’enfants
Et les enfants moins d’misères
Les savants seront plus peuple et les peuples plus savants
Rien ne sera jamais plus comme avant
Les verts verront tout en rose
Et les roses tout en vert
Les noirs ne verront plus rouge
Les rouges ne verront plus noir
Rien ne sera plus ni tout noir ou ni tout blanc
Rien ne sera jamais plus comme avant
Le coeur aura ses raisons
La raison aura du coeur
Les vaches auront l’air moins triste
Et les tristes l’air moins vache
Les amants tous insoumis les insoumis tous amants
Rien ne sera jamais plus comme avant.
Paroles et musique de Marc Havet 1981
Claude SEINTIGNAN
Claude Seintignan a choisi
LOS JUSTOS - DE JORGE LUIS BORGES
Il se souvenait sans abdiquer de la femme brune
Hanches larges, cheveux noirs crépus lui tombant sur les épaules
Elle s’installait sur des coussins dans le fond de l’atelier
Otait son corsage, délivrant ses seins lourds
Comme pour une photo de Spencer Tunick
Et la poitrine nue
Elle récitait “ Los Justos” un poème de Jorge Luis Borges
Après avoir déclaré que c’était des vers qui lui ressemblaient :
“Un hombre que cultiva un jardín, como quería Voltaire.
El que agradece que en la tierra haya música.
El que descubre con placer una etimología.
Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez.
El ceramista que premedita un color y una forma.
Un tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada
Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto.
El que acaricia a un animal dormido.
El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho.
El que agradece que en la tierra haya Stevenson.
El que prefiere que los otros tengan razón.
Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.”
Le premier vers : “ Un homme qui cultive son jardin comme le souhaitait Voltaire”
Lui rappelait ce villageois haut et droit
Au bord de la source jaillissante de la Buège
Débordant des vasques profondes de calcaire
Pour se jeter dans l’impétuosité transparente du torrent.
Cet homme tenait à l’épaule
Une corbeille de légumes si blancs, si verts, si rouges
Fraîchement cueillis dans son jardin
Il les avait invités à boire sans crainte l’eau de la fontaine
Depuis, il ne s’étonnait plus que les Grecs
Aients vu dans la rencontre de certains êtres la manifestation certaine des dieux
Son amie continuait de sa voix rauque d’espagnole :
El que agradece que en la tierra haya música.
“ Celui qui est reconnaissant à la musique d’exister”
Pour ce vers il se serait mis à genoux
Il aurait longuement embrassé sa lourde poitrine
Et les lèvres épaisses de sa voix rauque
Il se serait fait silencieux et obéissant comme un époux
Pour pénétrer au cœur sacré de son corps sombre
Oui, pour ce vers il aurait oublié sa condition d’être existant.
Roger WEST
Roger West a choisi:
Lawrence Ferlinghetti
Ayez pitié de la nation
PITY THE NATION
(After Khalil Gibran)
Pity the nation whose people are sheep
And whose shepherds mislead them
Pity the nation whose leaders are liars
Whose sages are silenced
And whose bigots haunt the airwaves
Pity the nation that raises not its voice
Except to praise conquerors
And acclaim the bully as hero
And aims to rule the world
by force and by torture
Pity the nation that knows
No other language but its own
And no other culture but its own
Pity the nation whose breath is money
And sleeps the sleep of the too well fed
Pity the nation oh pity the people
who allow their rights to erode
and their freedoms to be washed away
My country, tears of thee
Sweet land of liberty!
Ayez pitié de la nation dont les gens sont des moutons
et dont les bergers les égarent.
Ayez pitié de la nation dont les chefs sont des menteurs,
dont les sages sont devenus muets
et dont les réactionnaires passent par les ondes comme des fantômes.
Ayez pitié de la nation qui n’élève sa voix que louer le conquérant
et qui acclame le tyran comme le héros
et voudrait régler le monde
par la force et par le torture.
Ayez pitié de la nation qui connaît
aucune langue que sa propre langue
et aucune culture que sa propre culture.
Ayez pitié de la nation dont le souffle est l’argent
et dont le sommeil est le sommeil des trop bien nourris.
Ayez pitié de la nation - o ayez pitié de ses gens
qui laissent éroder leurs droits
et laissent emporter leurs libertés.
“My country, tears of thee.”
Douce terre de liberté
Traduit de l’anglais par Roger West
SKIMAO
Skimao a choisi Hölderlin
Extrait de « Pain et vin » (« Brot und Wein ») de Friedrich Hölderlin (traduit par Patrick Guillot)
« Mais, amis ! nous venons trop tard. Certes vivent les dieux
Mais par-dessus les têtes, là-haut dans un autre monde.
Sans fin y agissent-ils et semblent peu considérer
Si nous vivons, tant nous épargnent les Célestes.
Car un vase fragile ne peut les contenir toujours,
Il ne supporte que pour un temps la plénitude divine, l’homme.
Rêver d’eux ensuite est la vie. Mais l’égarement
Secoure, comme le sommeil, et réconfortant la détresse et la nuit,
Tant que les héros n’ont pas assez grandi dans leurs berceaux d’airain,
Le cœur à l’effort, comme jadis, semblables aux Célestes.
Tonnant viendront-ils ensuite. Jusque-là me semble souvent
Préférable de dormir que d’être ainsi sans compagnons.
Que d’attendre ainsi, et que faire jusque-là et que dire,
Je ne sais, et pourquoi des poètes en ces temps d’indigence.
Mais ils sont, dis-tu, les prêtres sacrés du dieu du vin,
Ceux qui de pays en pays traçaient dans la nuit sacrée. »
Texte de Christian SKIMAO
Impassible
Tête encore visible
Retenant son souffle
Picturale présentation
Sculpturale exposition
Corps invisible
Expirant son souffle
Quelle différence ?
Christian Skimao
Alain de Caprile a choisi:
Franco LOI
Annie ESTEVES
Annie Estèves a choisi Habib TENGOUR
Fanette DEBERNARD a choisi Sully PRUDHOMME
Je me permets d'envoyer le poème qui a provoqué, dans mon enfance, mon attirance pour la poésie!
Un songe
Le laboureur m'a dit en songe : « Fais ton pain,
Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. »
Le tisserand m'a dit : « Fais tes habits toi-même. »
Et le maçon m'a dit : « Prends ta truelle en main. »
Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont je traînais partout l'implacable anathème,
Quand j'implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle :
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.
Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.
Sully Prudhomme
Les Épreuves
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Source :
http://www.eternels-eclairs.fr/
Les Épreuves, Sully-Prudhomme-Un-songe-2
Christian MALAPLATE a choisi Patrice de la Tour du PIN
LÉGENDE
Va dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,
Près de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,
Que je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,
Qu'au lever de la lune elle entendra mon pas.
Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,
Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,
Et naïve, tenant une main sur la bouche,
Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.
Car les marais sont tout embués de légende,
Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux,
Quand ils boivent la bonne lune sur la lande
Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.
Dis-lui que j'ai passé des aubes merveilleuses
A guetter les oiseaux qui revenaient du nord,
Si près d'elle, étendue à mes pieds et frileuse
Comme une petite sauvagine qui dort.
Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,
Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,
Que devant la croisée ouverte de ma chambre,
De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.
Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,
Comme le fils d'un roi d'au-delà de la mer;
Dis-lui que les parfums inondent mes provinces
Et que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.
Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,
Qu'elle se baignera dans les étangs sans fièvre,
Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombris
Le sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,
L'énigme d'un regard de pure transparence
Et qui brille parfois du fascinant éclair
Des grands initiés aux jeux de connaissance
Et des couleurs du large, sous les cieux déserts...
Patrice de La Tour du Pin
Texte de Christian MALAPLATE
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes.
Mon île noire, entre les vapeurs marines, s’éloigne loin des récifs.
J’entre dans la haute mer au moment où les étoiles pavoisent mon désespoir.
L’étreinte obscure se mêle à la longue houle tiède qui agite l’étrave.
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes.
La lueur du phare dessine encore quelques silhouettes éphémères.
L’écume se charge de donner une collerette aux vagues impassibles.
Les murmures montent et descendent. Ils traînent des grains de sable.
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes.
Les fleurs maladives s’en sont allées au gré du vent nouveau.
Les ombres houleuses de ma tête commencent à passer par-dessus bord.
J’ai ferraillé longtemps avec mes contradictions pour obtenir un silence azuré.
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes.
Des albatros majestueux effleurent les eaux miroitantes.
Ils poursuivent leur route vers des terres qui hument les orages.
Je vogue, à l’heure tendre du hasard, au rythme des voilures.
Ton chant d’amour m’a fait sortir des nuits dérivantes.
J’ai maintenant tracé ma route au cœur fertile de la mer.
J’arpente un ciel infini avec un sextant tout couvert de légendes marines.
J’entends ton chant d’amour comme un baiser sur un bouton de rose.
Christian Malaplate
(Poème du recueil La Lumière tisse des volutes sur les pierres grises)
Patricio SANCHEZ a choisi Pablo NERUDA
La Vérité
L LA VERITÉ
Pablo Neruda
Idéalisme et réalisme, je vous aime,
comme l'eau et la pierre
vous êtes
parties du monde,
lumière et racine de l'arbre de la vie.
Non, ne me fermez pas les yeux.
lorsque j'aurai cessé de vivre,
j'en aurai besoin pour apprendre
pour regarder et comprendre ma mort.
Il me faut ma bouche
pour chanter après qu'elle aura disparu.
Et mon âme, et mes mains, mon corps
pour continuer à t'aimer, ma chérie.
C'est impossible, je le sais, pourtant je l'ai voulu.
J'aime ce qui n'a que des rêves.
J'ai un jardin tout de fleurs qui n'existent pas
Je suis résolument triangulaire.
Et je regrette encore mes oreilles,
mais je les ai enveloppées pour les laisser
dans un port, sur un fleuve à l'intérieur
de la République de Malaguette.
Je suis las de porter la raison sur l'épaule.
Je veux inventer la mer quotidienne.
Un jour j'ai reçu la visite
d'un peintre de talent qui peignait des soldats.
Tous étaient des héros et le brave homme
les peignait en plein feu sur le champ de bataille
mourant comme à plaisir.
Et il peignait aussi des vaches réalistes,
si réalistes et si parfaites, si parfaites
qu'on se sentait, rien qu'à les voir, mélancolique
et prêt à ruminer jusqu'à la fin des siècles.
Horreur et abomination ! J'ai lu
des romans-fleuves de bonté
et tant de vers
à la gloire du Premier Mai
que je n'écris plus désormais que sur le Deux du même mois.
Il semble bien que l'homme
bouscule fort le paysage
et cette route qui avait un ciel auparavant
maintenant nous écrase
de son entêtement commercial.
Il en va de même avec la beauté,
et comme si nous refusions de l'acheter,
ils l'emballent à leur goût et à leur mode.
La beauté, laissons-la danser
avec ses courtisans les plus inacceptables,
entre le plein jour et la nuit;
ne la contraignons pas à avaler
comme un médicament la pilule de vérité.
Et le réel ? Il nous le faut, sans aucun doute,
mais que ce soit pour nous grandir,
pour nous rendre plus vastes, pour nous faire frémir, pour rédiger ce qui pour nous doit être
l'ordre du pain tout autant que l'ordre de l'âme.
Sussurez ! tel est mon ordre
aux forêts pures,
qu'elles disent en secret ce qui est leur secret,
et à la vérité: Cesse donc de stagner,
tu te durcis jusqu'au mensonge.
Je ne suis pas recteur, je ne dirige rien,
et voilà pourquoi j'accumule
les erreurs de mon chant.
Poètes d’aujourd’hui 40, Seghers, 1971. Troisième édition de Jean Marcenac.
James SACRE a choisi Valery Larbaud
Nuit dans le port
(extrait de Les poésies de A. O. Barnabooth, 1913)
Le visage vaporisé au Portugal
(Oh, vivre dans cette odeur d’orange en brouillard frais !)
À genoux sur le divan de la cabine obscure
- J’ai tourné les boutons des branches électriques –
À travers le hublot rond et clair, découpant la nuit,
J’épie la ville.
C’est bien cela ; c’est bien cela. Je reconnais
L’avenue des casinos et des cafés éblouissants,
Avec la perspective de ses globes de lumières, blancs
À travers les rideaux pendants des palmiers sombres.
Voici les façades éclairées des hôtels immenses,
Les restaurants rayonnant sur les trottoirs, sous les arcades,
Et les grilles dorées des jardins de la Résidence.
Je connais encore tous les coins de cette ville africaine :
Voici les Postes, et la gare du Sud, et je sais aussi
Le chemin que je prendrais pour aller du débarcadère
À tel ou tel magasin, hôtel ou théâtre ;
Et tout cela est au bout de cette ondulation bleue d’eau calme
Où vacillent les reflets des feux du yacht…
Quelques mois ensoleillés de ma vie sont encore là
(Tels que le souvenir me les représentait, à Londres),
Ils sont là de nouveau, et réels, devant moi,
Comme une grande boîte pleine de jouets sur le lit d’un enfant malade…
Je reverrais aussi des gens que j’ai connus
Sans les aimer ; et qui sont pour moi bien moins
Que les palmiers et les fontaines de la ville ;
Ces gens qui ne voyagent pas, mais qui restent
Près de leurs excréments sans jamais s’ennuyer,
Je reverrais leurs têtes un temps oubliées, et eux
Continuant leur vie étroite, leurs idées et leurs affaires
Comme s’ils n’avaient pas vécu depuis mon départ…
Non, je n’irai pas à terre, et demain
Au lever du jour la « Jaba » lèvera l’ancre ;
En attendant je passerai cette nuit avec mon passé,
Près de mon passé vu par un trou
Comme dans les dioramas des foires.
Valery Larbaud (1881-1957)